Explique le lien entre le l’ESPT et la dépendance, montrant comment les traumatismes non résolus modifient le cerveau et poussent les gens à s’automédiquer pour soulager leur douleur.
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Imaginez que vous vous réveillez d’un rêve avec le cœur battant la chamade, en sueur et complètement paniqué·e. Votre esprit ne se contentait pas d’imaginer des choses; il rejouait vos expériences passées, difficiles et douloureuses, très clairement et dans les moindres détails, vous forçant à revivre des épreuves qui vous affectent et vous blessent encore profondément aujourd’hui. Quoi que vous fassiez, il semble que vous ne puissiez jamais échapper à ces échos du passé. Vous ne pouvez vous réfugier ni dans le sommeil ni dans l’éveil, et vous ressentez une anxiété constante.
Vous tentez désespérément de faire taire ces souvenirs et cherchez quelque chose à proximité qui pourrait vous apporter un moment de paix : de l’alcool, des pilules, peu importe. Bien que cela soulage temporairement la douleur, vous avez remarqué que l’effet est de moins en moins efficace. Au lieu de s’étaler sur plusieurs heures, le soulagement est passager : il n’allège les cauchemars que pour un bref moment. C’est frustrant, car il semble que vous ayez besoin de beaucoup plus pour les bloquer. Un jour, vous réalisez que ce qui fonctionnait auparavant a cessé de fonctionner. Mais comme vous avez toujours besoin de soulagement, vous essayez quelque chose de nouveau, quelque chose de plus puissant qui durera plus longtemps. Il ne s’agit que d’un aperçu de la réalité quotidienne des personnes souffrant d’un état de stress post-traumatique (ESPT).
Il existe un lien profond entre l’ESPT et la dépendance. Ils vont de pair dans un cycle difficile à interrompre et très difficile à briser. La détresse constante causée par les blessures émotionnelles non résolues du passé – les expériences traumatiques – altère le cerveau. Échapper à la douleur par un soulagement temporaire n’est qu’une solution passagère. Au contraire, les symptômes de l’ESPT s’aggravent souvent avec le temps, et les mesures désespérées prises par une personne pour tenter de les atténuer peuvent créer une dépendance.
Dans cet article, nous explorerons les liens entre l’ESPT et la dépendance, et la science qui les expliquent. Cependant, pour bien comprendre, il est essentiel de dépasser le point de vue simpliste selon lequel « les êtres humains n’apprennent les leçons difficiles que par les conséquences négatives »1. Une personne qui n’a pas souffert d’un ESPT peut avoir du mal à comprendre qu’il n’est pas possible de simplement décider d’arrêter. Pour une personne qui souffre d’un ESPT, la réalité est qu’il n’y a pas vraiment de choix : sa principale motivation est de soulager sa douleur par tous les moyens possibles. Pour expliquer cela, nous examinerons les symptômes du ESPT et de la dépendance, puis nous présenterons leurs points de convergence et les voies possibles de guérison.
Qu’est-ce que l’ESPT et quelle incidence a-t-il sur la santé mentale?
L’ESPT est un trouble psychologique grave qui se manifeste après avoir vécu ou été témoin d’un événement traumatisant. Il influence la façon dont une personne vit sa vie. Le traumatisme peut résulter d’abus physiques ou émotionnels, de combats militaires, d’accidents, de catastrophes naturelles ou d’autres expériences bouleversantes. Selon le Dr Bessel van der Kolk, le traumatisme « n’est pas seulement un événement qui s’est produit dans le passé : c’est aussi l’empreinte laissée par cette expérience sur notre esprit, notre cerveau et notre corps »2.
Les personnes souffrant d’un ESPT présentent souvent des symptômes tels que :
• des flashbacks et des cauchemars angoissants, où les souvenirs indésirables du traumatisme semblent intensément réels et provoquent une détresse émotionnelle et de la panique;
• un engourdissement émotionnel et un détachement des autres : le sentiment d’être déconnecté des émotions ou des relations, ce qui rend difficiles l’établissement d’une confiance et la création de liens étroits;
• une hypervigilance : les personnes se sentent constamment sur le qui-vive, sont facilement surprises par des bruits ou des mouvements, réagissent parfois de manière exagérée, et scrutent en permanence l’environnement à la recherche de dangers;
• une peur des situations où elles se sentent vulnérables ou risquent d’être trahies, ce qui les conduit souvent à s’isoler et à éviter les relations sociales.
Les recherches menées en 1978 par le Dr Bessel van der Kolk auprès d’anciens combattants de la guerre du Vietnam ont révélé que l’ESPT modifie la structure et le fonctionnement du cerveau.
• L’amygdale, qui contrôle la peur, devient hyperactive, ce qui rend les personnes plus enclines à ressentir de l’anxiété et de la panique.
• L’hippocampe, qui est responsable du traitement de la mémoire, s’affaiblit, ce qui rend beaucoup plus difficile la distinction entre les traumatismes passés et le moment présent.
• Le cortex préfrontal, qui gère la prise de décision et le contrôle des impulsions, voit son efficacité diminuer, ce qui rend plus difficile la régulation des émotions et du raisonnement.
L’étude a révélé que « les personnes traumatisées ont tendance à projeter leur traumatisme sur tout ce qui les entoure. Il semble y avoir peu de choses entre les deux »3. Elles perdent leur capacité à faire preuve de « flexibilité » mentale et à s’abandonner joyeusement à l’imagination. Elles perçoivent le monde de manière très différente et restent coincées dans leur traumatisme4.
Quel est le lien entre l’ESPT et la dépendance?
L’ESPT et la dépendance vont souvent de pair. Ils piègent les personnes dans un cycle de souffrance émotionnelle et d’usage de substances. Alors que certaines personnes croient que la dépendance relève de la volonté et de la force personnelle, les spécialistes du monde médical ont observé une réalité tout à fait différente. Le Dr Gabor Maté affirme que la dépendance « trouve toujours son origine dans la douleur, qu’elle soit ressentie ouvertement ou cachée dans l’inconscient »5.
De nombreuses personnes souffrant d’un ESPT peuvent recourir à l’automédication avec des substances pour échapper à des émotions accablantes. Les substances nocives agissent comme « un anesthésique émotionnel, un antidote au sentiment effrayant de vide, un tonique contre la fatigue, l’ennui, l’aliénation et le sentiment d’insuffisance, un moyen d’atténuer le stress et un lubrifiant social »6. L’automédication peut comprendre :
• de l’alcool, des opioïdes et des stimulants qui sont utilisés pour atténuer la douleur émotionnelle, induire une relaxation ou donner une illusion de contrôle;
• des comportements et des activités comme les jeux, les achats ou l’hyperphagie, qui peuvent devenir compulsifs et qui sont utilisés pour engourdir les émotions;
• un mauvais usage des ordonnances et une surconsommation de médicaments contre l’anxiété ou la douleur pour tenter de soulager les symptômes. Cela présente un risque élevé de dépendance.
Une étude a révélé qu’environ « 26 à 52 % des personnes ayant reçu un diagnostic d’ESPT à vie répondent également aux critères de diagnostic d’un trouble lié à l’usage de substances psychoactives (TUS) »7.
Un mythe répandu suggère que la dépendance résulte d’un choix personnel ou même d’une faiblesse morale. Cependant, les spécialistes
en médecine reconnaissent qu’elle résulte souvent de réactions psychologiques et biologiques profondément enracinées à la suite
d’un traumatisme. Ce n’est pas une question de volonté.
D’autres mythes suggèrent que8 :
• la dépendance est une maladie génétique du cerveau. Il s’agit plutôt d’un phénomène épigénétique, c’est-à-dire l’impact que l’environnement et le mode de vie peuvent avoir sur le fonctionnement génétique.
• la dépendance est liée aux drogues. Il s’agit en fait d’une question de douleur. Les gens peuvent être exposés à diverses choses qui entraînent ce que nous appelons une dépendance. La dépendance résulte de la libération d’endorphines et de dopamine dans le cerveau, des substances qui apaisent et régulent le stress tout en procurant un plaisir ou un soulagement temporaire.
• l’abstinence est le seul objectif du traitement. La réduction des méfaits est un résultat beaucoup plus réaliste, car elle aide les personnes à retrouver une vie normale.
• L’éducation prévient la dépendance. Il existe de nombreuses ressources pour sensibiliser le public à la dépendance, mais cela n’aboutit pas à la prévention. D’autres facteurs de la vie d’une personne, comme sa situation économique et son intégration psychosociale, ont beaucoup plus d’influence.
• les conséquences négatives sont nécessaires ou utiles. Faire en sorte qu’une personne se sente mal à propos de sa dépendance ne garantit pas qu’elle acceptera un traitement. C’est souvent le contraire qui se produit : les gens se mettent sur la défensive et se distancient.
Pourquoi les traumatismes peuvent-ils conduire à l’abus de substances?
Le traumatisme augmente le risque de dépendance, car notre vulnérabilité aux blessures influence notre manière de gérer la douleur9. Lorsque la douleur du traumatisme devient écrasante, le cerveau engourdit automatiquement la conscience pour se protéger. Cela est particulièrement courant dans le cas des traumatismes de l’enfance, où des expériences négatives peuvent entraîner une dépendance plus tard dans la vie.
Le stress chronique issu d’un traumatisme peut également perturber le système de réponse au stress de l’organisme, ce qui entraîne une instabilité émotionnelle à long terme. Il modifie nos structures cérébrales et peut avoir une incidence sur « le système immunitaire, les capacités de régulation émotionnelle, le développement cognitif et les fonctions exécutives »10.
Il s’agit souvent d’un cycle d’évitement :
1. Le traumatisme suscite d’abord des émotions accablantes, comme une peur intense, de l’anxiété ou une douleur émotionnelle, qui sont liées à des expériences passées.
2. Les substances nocives apportent un soulagement temporaire en atténuant les émotions bouleversantes et en permettant d’échapper
à ces pensées incessantes.
3. La tolérance se développe, entraînant une augmentation de la consommation, car le cerveau s’adapte aux substances nocives et
en exige davantage pour obtenir le même soulagement.
4. La dépendance se développe lorsque la personne commence à dépendre de substances non seulement pour soulager sa douleur émotionnelle, mais aussi pour fonctionner au quotidien.
5. Les symptômes de l’ESPT s’aggravent, car le traumatisme sous-jacent persiste. L’usage récréatif de substances psychoactives intensifie l’instabilité émotionnelle et les sentiments de culpabilité, de honte et d’impuissance.
6. Le cycle recommence.
Par exemple, une personne souffrant d’un ESPT peut commencer à consommer de l’alcool pour atténuer ses pensées intrusives et ses cauchemars. Avec le temps, elle a besoin de consommer plus d’alcool pour soulager ses symptômes. Cela crée une dépendance. L’augmentation de la consommation d’alcool a des effets négatifs sur les relations, le rendement professionnel et la santé mentale. Cela amplifie les symptômes liés à l’ESPT et augmente la dépendance à l’alcool pour obtenir un soulagement.
Quels sont les signes indiquant la présence simultanée d’un ESPT et d’une dépendance?
Il est essentiel de reconnaître les symptômes de l’ESPT et de la dépendance pour trouver l’aide appropriée. Les signaux d’alarme
peuvent être :
• la consommation de substances pour composer avec le stress ou les souvenirs et échapper à la douleur émotionnelle;
• l’isolement accru, les sautes d’humeur, l’agressivité, l’irritabilité;
• l’anxiété accrue, la paranoïa, la difficulté à dormir en raison d’une inquiétude constante, la difficulté à se détendre ou l’insomnie chronique;
• les comportements à risque et la négligence des responsabilités, les actions impulsives, les difficultés financières ou l’évitement du travail
ou des obligations;
• le retrait des activités sociales, l’éloignement des relations de soutien et la perte d’intérêt pour les loisirs.
Quelles sont les options de traitement? Quel type d’aide est offert?
Il est essentiel de privilégier un traitement intégré pour traiter l’ESPT et la dépendance. Se concentrer uniquement sur l’un ou l’autre n’entraîne pas de meilleurs résultats, car cela ne traite pas les vulnérabilités associées à chaque condition. Le Dr Bessel van der Kolk souligne que l’un des défis
du rétablissement est de redevenir propriétaire de son corps et de son esprit11.
Les approches qui peuvent aider sont les suivantes :
Psychothérapie
• La thérapie cognitivo-comportementale (TCC) peut aider les personnes à repérer les schémas de pensée néfastes qui contribuent à l’usage de substances psychoactives et aux symptômes de l’ESPT.
• L’intégration neuro-émotionnelle par les mouvements oculaires (EMDR) utilise des mouvements oculaires guidés pour aider les personnes à traiter leurs souvenirs en toute sécurité.
• La thérapie par introspection compatissante traite le traumatisme sous-jacent de manière globale en évaluant les sources du traumatisme et leurs effets sur la personne.
Médicaments
• Les antidépresseurs peuvent aider à gérer certains symptômes de l’ESPT et à réduire les états de besoin intense d’utiliser des substances nocives.
• Les médicaments peuvent également réduire les symptômes de sevrage et prévenir les rechutes.
Groupes de soutien
• Des programmes tels que les Alcooliques anonymes (AA) ou les Narcotiques Anonymes (NA) peuvent favoriser le soutien par les pairs
et la responsabilisation.
• Les groupes de rétablissement de la dépendance tenant compte des traumatismes offrent un espace sûr pour discuter des luttes et des difficultés liées aux traumatismes.
Quel est le rôle du soutien de ses proches dans
le rétablissement?
La famille, les amis et les programmes communautaires jouent tous un rôle clé dans la guérison émotionnelle et la responsabilisation. La compassion et la compréhension sont essentielles. Faire preuve d’ouverture d’esprit en considérant la dépendance comme un trouble médical plutôt qu’un choix ou un échec personnel contribue à réduire les préjugés. De nombreuses personnes évitent de demander de l’aide parce qu’elles ont honte ou qu’elles craignent d’être jugées par leurs proches.
Les réseaux de soutien par les pairs, tels que les AA, peuvent aider les personnes traumatisées et souffrant de dépendance à tisser des liens
plus profonds avec leur famille, car les participant·e·s y partagent leurs expériences vécues. Les personnalités publiques peuvent également contribuer à inspirer les autres et à réduire les préjugés. En faisant part de leur histoire, elles ouvrent la discussion et montrent que cela peut arriver
à n’importe qui, quelles que soient les circonstances12.
Comment préparer le chemin vers la guérison à long terme?
Considérez ces quatre possibilités dans votre approche :
1. Soyez réaliste. La guérison est un processus continu qui demande du temps et des efforts.
2. Les programmes professionnels, comme ceux de Homewood Santé, offrent des soins spécialisés.
Programme sur les traumatismes et l’ESPT
https://homewoodhealthcentre.com/our-expertise/trauma-ptsd/ (seulement en anglais)
Programme de traitement de la toxicomanie – Usage récréatif de substances psychoactives https://homewoodhealthcentre.com/treatment-programs/addiction-medicine-program-amp-su/ (seulement en anglais)
4. Développez votre patience et votre autocompassion afin de favoriser la croissance et de mieux comprendre les échecs.
5. Adoptez un état d’esprit propice au rétablissement.
Il y a de l’espoir
Même si le passé a laissé de profondes blessures, la guérison de l’ESPT et de la dépendance est à portée de main avec un soutien, un traitement et une résolution appropriés. Ce n’est pas facile, mais chaque petit pas en avant, qu’il s’agisse de suivre une thérapie ou de se joindre à un groupe de soutien, contribue à reprendre le contrôle. Un avenir plus radieux est toujours possible, quelles que soient les difficultés rencontrées.
Références :
1. Maté, G. M.D., (2018). In the Realm of Hungry Ghosts – Close Encounters with Addiction. Vintage Canada. (Part I: Hellbound Train, 2. The Lethal Hold of Drugs, p. 72) (seulement en anglais)
2. Van der Kolk, B. Dr., (2014). The Body Keeps The Score: Brain, Mind and Body In the Healing of Trauma. Penguin Books. (Chapter 1, Lessons from Vietnam Veterans, page 21) (seulement en anglais)
3. Van der Kolk, B. Dr., (2014). The Body Keeps The Score: Brain, Mind and Body In the Healing of Trauma. Penguin Books. (Chapter 1, Lessons from Vietnam Veterans, page 17) (seulement en anglais)
4. ibid.
5. Maté, G., M.D., (2018). In the Realm of Hungry Ghosts – Close Encounters with Addiction. Vintage Canada. (Part I: Hellbound Train, 3. The Keys to Paradise, p. 81) (seulement en anglais)
6. Maté, G., M.D., (2018). In the Realm of Hungry Ghosts – Close Encounters with Addiction. Vintage Canada. (Part I: Hellbound Train, 2. The Lethal Hold of Drugs, page 76) (seulement en anglais)
7. Martens, T. (révision médicale par Kelley, R.). (3 novembre 2024). Post-Traumatic Stress Disorder (PTSD and Substance Abuse. AmericanAddictionCentres, DrugAbuse.com. Article consulté le 18 mars 2025 sur le site https://drugabuse.com/mental-health-drug-abuse/ptsd-addiction/ (seulement en anglais)
8. PESI, I. (réalisateur). (2020). The Seven Myths of Addiction. [Video/DVD] PESI Inc. https://video.alexanderstreet.com/watch/the-seven-myths-of-addiction (seulement en anglais)
9. Maté, G. M.D., (2018). In the Realm of Hungry Ghosts – Close Encounters with Addiction. Vintage Canada. (Part I: Hellbound Train, 3. The Keys to Paradise, page 86) (seulement en anglais)
10. Giordano, A.L. Ph.D. (révision médicale par Lancaster, V.). (25 septembre 2021). Why Trauma Can Lead to Addiction: Childhood trauma increases the risk of addiction in adulthood, but why? Psychology Today. Article consulté le 18 mars 2025 sur le site https://www.psychologytoday.com/ca/blog/understanding-addiction/202109/why-trauma-can-lead-to-addiction (seulement en anglais)
11. Van der Kolk, B. Dr., (2014). The Body Keeps The Score: Brain, Mind and Body In the Healing of Trauma. Penguin Books. (Chapter 6, Losing Your Body Losing Yourself, page 103) (seulement en anglais)
12. Oberlin, L. (révision médicale par Woods, T.) (1er août 2021). Celebrities Who Share Their Mental Health and Addictions. Psychology Today. Article consulté le 18 mars 2025 sur le site https://www.psychologytoday.com/ca/blog/the-full-picture/202108/celebrities-who-share-their-mental-health-and-addictions (seulement en anglais)